Fâcheries et engouements

Fâcheries et engouements

mercredi 30 avril 2014

En mai, lis ce qu'il te plaît...


J'ai pas mal lu ces derniers temps, car je me suis mêlée de faire partie  (comme l'an dernier) du jury du prix des libraires en Seine. 
Six livres en quelques semaines, mission presque accomplie...

J'avoue que j'ai capitulé sur l'un d'entre eux, Faillir être flingué, que j'ai eu la mauvaise idée de commencer après avoir ahané des jours et des jours sur le pavé de Perez Reverte, Le Tango de la Vieille Garde. 544 pages suprachiantes, bien que je reconnaisse que l'histoire ne manque pas de romanesque.
Je n'ai pas bien compris ce choix des libraires. 
Le livre de Céline Minard, que j'ai abandonné, est une sorte de western (j'ai toujours du mal même en film) truculent, avec des personnages incroyables, mais une mise en relation entre eux qui peine à se faire. Je perdais le fil... Mais, avis aux amateurs de grands espaces, de rêveries marquées par les traditions indiennes !
Malgré cet abandon... (mais c'est tout de même mieux que l'an dernier, où j'avais été associée à ces lectures sur le tard et n'avais lu que trois des titres), quelques belles surprises... 

La Lettre à Helga
Le livre par lequel j'ai démarré, chez mon éditrice favorite (Zulma, en fait ce n'est sans doute pas une fille...), La Lettre à Helga, récit d'une poésie inouïe d'un vieux paysan islandais qui nous raconte comment, dans sa jeunesse, il a raté l'amour de sa vie et comment, sur le point de s'en aller, il y pense encore. C'est une vie rurale et âpre, voire hostile, qui est dépeinte. Un univers totalement étranger au nôtre, qui accueille ces amours trop vite devenues impossibles. La nature immense et voluptueuse est le lieu de ces rencontres, le texte est d'une sensualité incroyable, l'auteur établissant un va-et-vient entre les ébats avec la femme aimée et la nature. Mais l'homme est attaché à son pays, à son métier, à sa popularité, il manque de courage aussi...
Une confession touchante qui clôt une vie passée à se souvenir, mais et puis quoi ? Une histoire empêchée en somme, une de plus...

Petites scènes capitales
Je passerai rapidement sur Petites scènes capitales , de Sylvie Germain, non pas que je n'ai pas aimé ce livre, je l'ai pris comme une confidence.
Ces petites scènes sont des instantanés qui parcourent la vie de la narratrice depuis sa naissance. Tour à tour douloureux ou jubilatoires, ils jalonnent sa vie marquée par l'abandon maternel. Le cheminement de cette petite fille qui tente de se construire avec ce dont elle hérite et ce qui l'habite. Une écriture riche et évocatrice de belles images qui restent en tête, longtemps après la lecture. Un livre intimiste, comme on écrit pour se libérer de son histoire, le personnage principal s'excusant presque de ne pas arriver à être quelqu'un de "mieux", tant il a grandi dans l'absence et l'insécurité. Une sorte de thérapie...

Pietra Viva
Là où j'ai commencé à être sous le charme, c'est avec Pietra Viva de Léonor Recondo (une jeune auteur musicienne, encore une qui a hérité de tous les talents...).
Le propos est de suivre le grand Michelangelo lors d'un voyage à Carrare, où le maître va choisir le marbre pour le tombeau, que le pape Jules II lui a demandé d'édifier pour lui. Au départ, j'avoue avoir été très sceptique sur l'intention. Pourquoi faire une fiction à partir d'un fragment de la vie d'un immense artiste ? 
Mais j'ai été très vite emportée par l'évocation dans laquelle nous emporte Léonor Recondo.  Ce séjour aurait permis à l'artiste de lever le voile sur certaines zones d'ombres de sa vie et expliquerait certains de ses traits de caractère, pour le moins ombrageux.
Résurgence du souvenir enfoui de sa mère disparue alors qu'il était enfant, homosexualité latente, incarnée par un jeune moine pour lequel Michel-Ange avait une attirance certaine...,  sublimée dans l'amour de la beauté du corps humain. Cette évocation du passé est l'occasion de pulsions créatrices qui guident sa future œuvre.
Michel-Ange l'austère, si peu communicant et hautain, fait de belles rencontres qui accompagnent ce retour aux sources. Les carrières de marbre sont un théâtre magnifique, où les tailleurs de pierre travaillent dans des conditions incroyables, détachant les blocs énormes à coups de ciseaux et les transportant tirés par des chevaux jusqu'à la mer. On y croit vraiment, l'écriture est inspirée et fluide. Un magnifique roman.

Kinderzimmer
Une lecture qui laisse des traces que cette Kinderzimmer de Valentine Goby. En le lisant, je me demandais encore pourquoi les libraires avaient choisi ce livre... Une sélection sombre, nostalgique, profonde.
Car, pour tout dire, je crois n'avoir jamais croisé une évocation des camps de concentration aussi marquante et terrible.
L'auteur a recueilli des témoignages et créé un personnage fictif – Suzanne Langlois, alias Mila -, jeune résistante, transportée au camp de Ravensbrück au cours de l'année 1944, avec sa cousine Lisette.
Et elle résiste Mila. À l'horreur, à la destruction organisée, à la terreur...
Elle décrit pour nous. 
C'est pire que ce que je savais. La négation de l'être, la déchéance physique, l'humiliation. 
Les rats, la faim, le froid, les coups de fouet.
Les convois qui arrivent. Ceux qui repartent. Vers où ?
On a bien souvent la gorge serrée, les larmes à la lisière des yeux.
Mila dit l'indicible.
Elle raconte aussi les rencontres, la débrouille, la solidarité, l'entraide, la satisfaction des femmes à saboter les marchandises, la résistance ancrée jusqu'au bout de la vie. 
Elle et ses copines ont le sentiment urgent qu'il faut se souvenir, des faits, des dates, qu'il faut écrire, pour témoigner.
Mila est enceinte en arrivant au camp. Est-ce ce qui la porte, lui donne la force de la survie ? Pourtant, il n'y a aucune place pour ce petit être et elle est prise de court par cette mise au monde. Contrairement aux bruits qui courent, les nouveaux-nés ne sont pas tués, ils sont gardés dans la chambre des enfants (d'où le titre), le sien... qui n'est plus tout à fait le sien, aussi.  Cette chambre les sauve, elle et son bébé.
Puis c'est la Libération, le retour, les retrouvailles avec son père au Lutétia. 
La confrontation avec une France qui ne veut pas savoir, qui ne peut imaginer l'horreur.
Les souvenirs enfouis. Elle attend les 21 ans de son fils pour raconter son histoire et s'en libérer...

Mon palmarès à moi :
Le plus puissant : Kinderzimmer
Le plus beau : Pietra Viva
Le plus sensuel : La Lettre à Helga
Le plus intime : Petites scènes capitales
Le plus ennuyeux : Le Tango de la vieille garde
Le plus inachevé (par moi) : Faillir être flingué

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