Fâcheries et engouements

Fâcheries et engouements

mardi 4 mars 2014

L'enfance en souffrance, un sujet qui nous attrape

Un livre et un film "punching-ball", dont on ne ressort pas comme avant : En finir avec Eddy Bellegueule, d'Édouard Louis, Le Géant égoïste, de la réalisatrice Clio Barnard.

Le Géant égoïste 
Un film qui vous laisse un goût de ferraille en bouche : deux gamins, vivant dans une bourgade déshéritée du nord de l'Angleterre (peut-être durant les années Thatcher), traînent leur petite carcasse de préado, se cherchant, se construisant à partir d'une vie difficile.
C'est sombre, moche presque, pauvre, rude, rugueux.
La prise de vue, caméra au poing, est comme le scénario : brutale, choquante, proche, elle heurte.

Une histoire d'amitié
Les deux gosses sont amis. Une drôle d'alliance. 
L'un est doux, lent, timide, rond, rêveur, suiveur, toutefois plus mûr et réaliste. L'autre est une vraie teigne..., nerveux, écorché, tricheur, combinard.Tous deux ont déjà trop encaissé pour leur âge. Leur entourage, leur famille c'est pareil.
Nos jeunes rois de la débrouille se mettent en cheville avec un gars, colossal Sean Gilder dans le rôle de Kitten,  qui tient une décharge (une vraie entreprise qui fait vivre tous les paumés du coin). Kitten leur achète ce qu'ils glanent ou piquent au hasard de leurs déambulations. La première scène du film est à ce titre décapante et très explicite... (Je n'en dis pas plus, vous verrez.)

Des mères de chair et d'amour
Seuls vecteurs d'humanité, le cheval - auprès duquel le gosse au cœur tendre puise sa force..., et les deux mères, miracles d'amour envers et contre tout, mères courages magnifiques, aimantes.
On comprend à quel point ces "bonnes mères" entourent, protègent leurs petits - pour qui elles sont tout - comme elles le peuvent.
Mais trop de choses leur échappent. 
Le film est un coup de poing dans les idées toutes faites qui disent que le dérapage des enfants est dû au laisser-faire de leurs parents. Les mères sont  bel et bien là, aimantes, attentives, protectrices et montrent le droit chemin à leur petit. Il s'agit d'autre chose, du manque de travail, de la pauvreté installée, des jeunes sans espoir d'avenir... 
Kitten (le géant égoïste) exploite son monde, mais il n'est finalement pas tel qu'on croit qu'il est... L'enfance semble sauvée et la scène finale permet une sorte de rédemption au petit dur que l'on pense irréductible...

En finir avec Eddy Bellegueule
Premier roman du jeune Édouard Louis (21 ans !), racontant son enfance et son adolescence dans un village sinistré du Pas-de-Calais. Le père n'a plus de boulot, la mère peu. Le chemin de vie du gamin semble tracé. Pas grande chance d'échapper à la violence de son univers, aux bitures du samedi soir à l'arrêt de bus, à la télé omniprésente à la maison, à la virilité grasse que doivent arborer les garçons, à l'école qui n'est plus un moyen d'avoir un rêve de vie et d'y accéder.

L'écriture comme acte de révolte
Eddy Bellegueule y parvient pourtant en entrant au lycée à Amiens, puis en poursuivant ses études, l'ENS, un essai sur Bourdieu, chercheur sans doute. 
Il crache ce livre, en réaction à cette violence sociale, il y donne aussi libre cours à la sensibilité qu'on a tant moquée chez lui, dont il ne comprenait pas la raison. 
Son homosexualité est-elle ce qui a fait qu'il n'était pas "chez lui" dans l'univers de ses parents, ou bien il a toujours cherché ailleurs, toujours pressenti qu'autre chose existait ? Eddy opère une vraie rupture avec son milieu. Il passe à l'autre camp, dans lequel il devient Édouard.
Ne croyez pas qu'Eddy rejette tout en boc. Il y a des moments de tendresse et d'amour, des échanges. J'ai été très touchée par les femmes de sa famille qui osent exprimer des désirs, être aide-soignante pour la mère, sage-femme pour la sœur, même si cela semble inaccessible.

La culture pour tous !
Comment échappe-t-on à son milieu ? Le livre verse un peu dans la caricature des prolos qui n'ont aucune ouverture culturelle, qui picolent, parlent mal, se nourrissent mal, se gueulent dessus... 
Mais la culture (au sens large) n'est-elle pas un privilège de riches ? Force est de constater que si. Comment y accède-t-on quand on n'a pas vu de spectacle, lu de livres... ? Les jeunes de la filière Sciences Po au lycée en zep de ma ville constatent ce manque culturel si dur à combler lorsqu'ils sont admis dans la prestigieuse école. 
Pourtant, nombreux sont les enseignants, associations ou entités culturelles qui luttent pour la diffusion de la culture et pour que tous s'en emparent et se l'approprient, mais la route est longue.

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