Fâcheries et engouements

Fâcheries et engouements

jeudi 20 octobre 2011

Comprenne qui voudra

Fut un temps où les hommes qui nous gouvernaient ne maniaient pas que la langue de bois. Et faisaient preuve de culture et de profondeur.
En 1969, à la question que lui posait un journaliste au sujet du suicide de Gabrielle Russier, professeur de lettres, condamnée pour détournement de mineur, 
"Comprenne qui voudra - moi mon remord ce fut la victime raisonnable au regard d'enfant perdu, celle qui ressemble aux morts, qui sont morts pour être aimés - c'est de Paul Eluard."

Le poème d'Éluard évoquait un autre contexte. Celui des femmes tondues publiquement après la Libération pour être sorties avec l'ennemi.

En ce temps-là, pour ne pas châtier les coupables, on maltraitait des filles. 
On allait même jusqu'à les tondre.

Comprenne qui voudra
Moi mon remords ce fut
La malheureuse qui resta
Sur le pavé
La victime raisonnable
À la robe déchirée
Au regard d'enfant perdue
Découronnée défigurée
Celle qui ressemble aux morts
Qui sont morts pour être aimés
Une fille faite pour un bouquet
Et couverte
Du noir crachat des ténèbres
Une fille galante
Comme une aurore de premier mai
La plus aimable bête
Souillée et qui n'a pas compris
Qu'elle est souillée
Une bête prise au piège
Des amateurs de beauté
Et ma mère la femme
Voudrait bien dorloter
Cette image idéale
De son malheur sur terre.

Texte initialement publié in Les Lettres françaises du 2 décembre 1944, avec ce commentaire : « Réaction de colère. Je revois, devant la boutique d’un coiffeur de la rue de Grenelle, une magnifique chevelure féminine gisant sur le pavé. Je revois des idiotes lamentables tremblant de peur sous les rires de la foule. Elles n’avaient pas vendu la France, et elles n’avaient souvent rien vendu du tout. Elles ne firent, en tous cas, de morale à personne. Tandis que les bandits à face d’apôtre, les Pétain, Laval, Darnand, Déat, Doriot, Luchaire, etc. sont partis. Certains même, connaissant leur puissance, restent tranquillement chez eux, dans l’espoir de recommencer demain. »

Dans les deux cas, des femmes qui ont payé cher, pour la relation entretenue, l'une avec un mineur, les autres avec l'ennemi, en butte aux réactions de l'Institution ou de l'opinion publique, promptes à trouver un(e) coupable facile, alors que d'autres couraient en toute impunité.

Pompidou réfléchit longuement, il pèse ses mots (avez-vous "vu" les silences ?), il ne tranche pas de façon péremptoire. Sans nier la "faute", il semble accorder des circonstances atténuantes, conscient que la pression exercée est trop grande et que les responsables ne sont pas seulement là, chez cette enseignante emportée par la passion.

On  voit ça dans ces situations où la personne incriminée est "punie" pour l'acte commis - ce qui est juste -, mais elle porte aussi le chapeau pour le reste : le ras-le-bol de certains d'une situation difficile à vivre, la "vox populi" qui cherche un bouc-émissaire, les lourdeurs des appareils qui ne peuvent tout remettre en question...

Merci à l'ami qui m'a soufflé cette phrase et tout ce qui s'ensuit.


1 commentaire:

  1. Ce poème est touchant et il montre l'humiliation que les femmes tondues on subient pour peu. D'autre part, c'est de la poésie engagée, donc Paul Eluard a pris des riques en écrivant ce poème de la résistance.

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